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Velja Blog

Blog Magazine sur les trucs vus, lus et entendus par l'auteur.

The Big Heat - Règlement de compte

The Big Heat - Règlement de compte

Que les Friedkin, M. Mann, créateurs de séries comme The Shield et autres pourvoyeurs en personnages de serviteurs de la loi au bord du crime pour le cinéma et la télévision ne l’oublient jamais : à ce monsieur-là, à son traitement implacable des questions du bon droit et de la culpabilité, ils doivent beaucoup. Mais la ressortie bienvenue en copies neuves de ce Règlement de comptes (The Big Heat) daté de 1953 ne vient pas seulement nous rappeler ce que Fritz Lang a apporté à l’image de la justice et de la loi au cinéma. Elle rend de nouveau publique une pièce de l’affirmation permanente par ce cinéaste de la primauté de la place de la caméra et du spectateur face au monde. Unique et néanmoins exemplaire, moral au mépris de l’ordre moral, l’art de l’Autrichien porte cette conscience qui compte parmi ce que le cinéma peut nous offrir de plus précieux.

Caméra-témoin
Ça commence mal : le film nous accueille par un gros plan bien serré sur un révolver. Une main saisit l’objet maléfique, le champ s’élargit, un coup de feu éclate et le plan toujours premier doit accueillir un cadavre, une balle tirée dans la tête de sa propre main. Des ouvertures de scènes semblables à celle-ci, il y en a quelques-uns dans The Big Heat, comme une signature de la caméra : braquer en premier lieu le regard sur l’objet qui va en quelque sorte « présider » plus ou moins ouvertement à la scène, souvent un objet-symptôme d’une influence psychologique, voire d’une pulsion, propre à caractériser les événements de celle-ci – comme ici une arme, un verre qu’on nettoie avec un soin maniaque, le portrait d’une mère chérie par son fils baron du crime. Et à chaque fois, c’est avec un naturel désarmant que la caméra passe du détail au plan d’ensemble qui en sera marqué. Car bien avant que des cinéastes plus proches de nous commencent à s’interroger plus ou moins pesamment sur la pertinence du plan-séquence, Lang prenait comme une évidence la nécessité de couvrir le maximum d’espace de l’action en s’épargnant autant que possible les ruptures dues aux raccords. La caméra suit sans relâche les personnages, fait des allers-retours du plan d’ensemble au plan rapproché, passe d’une profondeur de champ à l’autre, tâche de maintenir l’intégrité du regard, du point de vue, de la tension de celui qui observe. De fait, un raccord – un gros plan soudain sur un visage, par exemple – est presque systématiquement synonyme d’alerte.

C’est que, dans le cinéma de Lang plus qu’ailleurs, la caméra est une présence à part entière dans le film, hors champ, muette et impuissante, mais bien vivante et consciente, vouée à observer et à transmettre les soubresauts de ce qu’elle filme – en l’occurrence les errements et turpitudes terriblement humains des personnages. Dans The Big Heat, elle relève un panorama de dérèglements de la morale et des préjugés : une épouse découvrant son mari suicidé et se comportant aussitôt comme une criminelle, une amante éplorée préférant croire à un meurtre, une maîtresse de gangster (Gloria Grahame chosifiée par Lee Marvin) dont la ravissante idiotie apparente cache une lucidité amère et presque cynique, des policiers révélant une corruption généralisée connue depuis toujours. Et elle suit comme son ombre ce sergent Bannion à la mentalité de boy-scout, bon mari et bon père, dont on ne sait pas tout à fait si c’est plutôt le sens du devoir ou le désir de vengeance qui le poussera à se fermer au monde et envisager le crime pour combattre le crime, avec l’épais visage tour à tour bienveillant et menaçant de l’impressionnant Glenn Ford. Témoin muet et forcément un peu voyeur, elle refusera néanmoins de se repaître de l’acte le plus atroce commis dans le film : la défiguration de Grahame par du café bouillant lancé par Marvin, geste que la caméra ne suit pas, n’en gardant que l’horreur contenue dans le hurlement de la victime hors champ. Maîtresse et pourtant jamais mécanique ni appliquée, la mise en scène montre à chaque instant à quel point elle est animée d’une conscience : de ce qu’elle filme, de son positionnement par rapport à cette matière – et par là même, du positionnement de celui qui se repaît du contenu du cadre et qu’on appelle spectateur, à qui elle n’impose jamais sa façon de voir, mais l’interroge par son propre comportement. Où plus que jamais, mouvements d’appareils et raccords sont, comme le rappelleront les francs-tireurs de la Nouvelle Vague près de dix ans après The Big Heat, une « affaire de morale ».

La ligne noire
On pourrait ne faire que citer The Big Heat comme modèle de ces films où un représentant de la loi erre dans l’entre-deux incertain entre le bien et le mal. Mais ce serait tâcher de rendre sentencieuse une œuvre qui ne s’y prête en aucun cas, elle qui, derrière les attitudes de film noir, recèle rien moins qu’un double drame humain bouleversant contrevenant même aux clichés du genre. Drame du sergent Bannion d’abord, justicier et vengeur autodestructeur qui, tout à son obsession, compromet son rapport au monde et à ses semblables. Il faut voir comme les seconds rôles les plus passagers de The Big Heat, même celui qui n’aura droit qu’à une demi-scène, sont nommés avec soin (on entend même le nom d’un prêtre qui pourrait aider moralement Bannion, mais qui n’interviendra jamais…). Le spectateur prend illico acte de leur présence et de leur importance même discrète – mais il peut aussi, dès lors, juger du sérieux handicap humain du héros qui, lui, ne s’intéresse à ces gens et à leurs noms que s’ils lui apportent leur aide dans sa quête. Drame aussi de cette curieuse femme fatale superbement incarnée par Grahame, tour à tour fausse ravissante idiote, victime de l’horreur, opportuniste vénale et instrument de justice propre même à remettre le flic borderline dans le droit chemin : personnage complexe et miné par la désillusion, qui ne s’accomplira qu’en se débarrassant de tous ses masques, y compris celui qui cache l’horrible cicatrice compromettant son image glamour. Le film noir éclate ici de la sensibilité trop peu citée d’un cinéaste qui avait l’art de se faire détester sur ses tournages, dont on tente souvent de caractériser l’œuvre par des termes abstraits (bien, mal, justice, culpabilité…), mais qui savait aimer et faire aimer ses personnages – et la part d’humain qu’ils portent – mieux que personne. « Il faut aimer Fritz Lang », disait Truffaut. On ne peut qu’approuver.

Benoît Smith pour Critikat

Excellent !!

Un modèle du genre policier.

Vu sur Arte (bien sûr) dans le cadre du cycle Fritz Lang proposé par la chaîne

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